Le dark tourism : quand le tourisme frise l’indécence
Le dark tourism, ou « tourisme sombre », désigne de manière générale un type de tourisme qui s’attache aux visites de lieux associés à la mort et à la souffrance. Bien plus qu’un simple voyeurisme morbide, ce concept recoupe des réalités plus complexes. Il est le reflet de l’émergence de certaines dérives dans les pratiques touristiques. Si bien que de plus en plus de voix s’élèvent contre cette tendance. Nous vous proposons donc un éclairage sur cette facette obscure du tourisme contemporain…
Le dark tourism : une pratique plus ancienne qu’on ne le croit
Le dark tourism a été conceptualisé par deux chercheurs américains Malcolm Foley et John Lennon (pas le chanteur !) dans les années 90. Ils le définissent alors comme « le phénomène qui englobe la présentation et la consommation par les visiteurs de sites de morts et de catastrophes transformés en marchandises ».
Déjà, au temps des guerres napoléoniennes, la visite des champs de bataille dévastés était une pratique courante chez les bourgeois en mal de sensations fortes. Quid également du site archéologique de Pompéi ? Il a toujours fasciné les foules et pourtant, on parle bien d’une catastrophe naturelle qui a coûté la vie à environ 15 000 personnes. Rappelons même, au passage, que le musée du camp d’Auschwitz a été inauguré en 1947 ! Tout cela montre que cette pratique est plus ancienne que l’on se l’imagine. Pour autant, ce n’est que récemment que le dark tourism est apparu sur le devant de l’actualité.
Il faut y voir deux facteurs explicatifs principaux : le développement du tourisme de masse et la couverture médiatique. Il est aisé de comprendre que plus le nombre de voyageurs augmente, plus le phénomène prend de l’ampleur. Mais il est plus complexe de saisir l’influence des médias et des réseaux sociaux dans cette dynamique. Pourtant, leur rôle est indéniable.
Les dérives actuelles du dark tourism
On connaît l’influence du ciné-tourisme sur certaines destinations touristiques. La Croatie et l’Irlande avec Game Of Throne, l’Écosse avec Harry Potter, Paris avec Amélie Poulain. Les exemples de cette tendance ne manquent pas. Dans le contexte de renouvellement des pratiques de découverte des pays, elle semble même logique. Mais, forcément, lorsque la réalité dépasse la fiction, cela pose certaines questions.
On pense notamment à l’explosion des visites sur l’ancien site de la catastrophe de Tchernobyl à la suite de la diffusion de la série éponyme. Ou encore les tour-opérateurs qui proposent des séjours sur les traces du bandit Pablo Escobar suite à son biopic. Et comment ne pas s’offusquer à la vue de touristes effectuant des selfies tout sourire au sein des camps de concentration en Pologne ? L’ensemble de ces pratiques découle d’une même volonté de développer un business qui se greffe sur des modes. Le tourisme morbide est une « trend » comme une autre dans un univers perpétuellement instagrammable.
Dans la même optique, la pauvreté de certaines régions du globe est source de mises en scène et de profit. Pour quelques euros, certaines compagnies vous promettent une immersion sécurisée au sein des favelas de Rio, des bidonvilles de Bombay ou des townships de Johannesburg. On donne ici la sensation de vivre un voyage plus authentique, au plus proche des réalités des habitants. Et les séances photo ponctuent bien évidemment la visite. On reste ainsi dans une forme de voyeurisme. Cela pose donc la question de l’intention des visiteurs.
Dark tourism : comment expliquer le phénomène ?
Il est évident qu’un des moteurs principaux du dark tourism est à trouver du côté de la psychologie du visiteur. Les motivations sont multiples :
- La curiosité : certains touristes sont simplement curieux de découvrir ces lieux qui sont souvent entourés d’un certain mystère voire tabous.
- L’intérêt pour l’histoire : les visiteurs qui sont intéressés par l’histoire dans toutes ses réalités souhaitent plonger au sein de ces dernières, aussi durent soient-elles.
- L’attrait du macabre : certaines personnes sont attirées par l’horreur et le sensationnel. Elles recherchent des expériences qui leur procurent des frissons ou des émotions fortes.
- La volonté de se confronter à ses propres peurs : le dark tourism peut être une forme de thérapie. En visitant des lieux associés à la mort ou à la souffrance, les touristes peuvent faire face à leurs angoisses dans une visée cathartique.
Ces motivations multiples montrent que l’indécence se perçoit au niveau de l’intention initiale de la visite. On ne peut pas mettre dans le même panier une volonté, pour un visiteur, d’avoir une approche anthropologique et l’envie de s’adonner à un voyeurisme malsain. C’est ce qui distingue le dark tourism et le devoir de mémoire. Si l’un joue sur nos faiblesses, l’autre fait appel à nos capacités de compassion et de compréhension. Deux camps s’opposent donc : ceux qui veulent faire fructifier un business morbide et ceux qui espèrent combattre cette pratique par la pédagogie et la retenue.
Comment lutter contre le dark tourism ?
En effet, face à cette tendance, des voix s’élèvent et une résistance se met en place pour éviter les dérives. Au niveau des lieux concernés, l’accent est mis sur les communautés locales, les familles des victimes et les survivants de traumatismes. Cela passe aussi par des mesures telles que :
- Un meilleur encadrement des visites
- Une sélection des professionnels habilités à faire découvrir les sites
- Des restrictions sur le comportement des visiteurs
- L’interdiction de certaines activités telles que la vente de souvenirs ou l’organisation de séjours sur une thématique purement voyeuriste et morbide
Un exemple parlant est celui du site des attentats du 11 septembre 2001 à New York. Ici, le musée, le mémorial et la boutique de souvenirs sont trois entités distinctes. Il existe une séparation qui permet de ne pas être dans un mélange des genres. Car c’est en effet l’association entre l’histoire du lieu et son exploitation économique qui pose problème. Dans ce cas précis, le lien n’est pas fait de manière directe, ce qui rend l’initiative plus éthique.
Le dark tourism vient donc interroger nos pratiques touristiques contemporaines. Dans une quête perpétuelle de renouveau, certains professionnels du secteur franchissent parfois la ligne rouge de l’indécence. Ils exploitent les bas instincts des voyageurs sous couvert de montrer le monde tel qu’il est, sans tabous. On assiste alors à une sorte de catharsis de masse où les visiteurs apparaissent déconnectés de la réalité des lieux qu’ils parcourent. Ils cherchent plus à vivre une expérience perçue comme « excitante » ou « interdite » qu’à s’instruire et compatir. La pédagogie et un meilleur encadrement semblent alors les seuls à pouvoir contrer ces pratiques.
Rassurez-vous chers lecteurs, d’autres pratiques touristiques plus éthiques existent.
Découvrez par exemple notre article dédié au slow tourisme pour vous en rendre compte !
Article invité rédigé par Jean-Julien Peraut